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Le 29 août 2015

«Pourquoi je meurs en mer, quand d’autres sont tranquilles chez eux ?»

«Pourquoi je meurs en mer, quand d’autres sont tranquilles chez eux ?»

Au moins 111 corps ont été récupérés et 198 personnes sauvées au large de la ville de Zouara, à près de 160 kilomètres à l’ouest de Tripoli, en Libye, après le naufrage jeudi d’un bateau qui transportait environ 300 migrants. Mais le Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR) redoute un bilan plus lourd, car 200 personnes seraient encore portées disparues après le naufrage de cette embarcation de fortune et celui d’un autre bateau dans le même secteur des côtes libyennes. Selon le chef de cette opération du Croissant rouge libyen, Seddik Saïd, des survivants ont indiqué aux équipes de sauvetage qu’il y avait environ 400 personnes sur le bateau secouru jeudi matin au large de Zouara, mais qu’une autre petite embarcation avait fait naufrage la veille avec environ 60 personnes à bord.

Parmi les rescapés figure un jeune Pakistanais de 17 ans, Shefaz Hamza, qui a passé neuf heures sur un morceau de bois avant d'être secouru. Sa mère et sa petite sœur ont, elles, sombré sous ses yeux.

«Nous sommes partis vers 1 h 30 (jeudi) matin à bord d’une barque en bois. Nous étions environ 350, dont mon père et ma mère, ma petite sœur (11 ans), ma grande sœur (27 ans) et mon frère (16 ans)», a expliqué Shefaz à l'AFP, assis à même le sol, blotti contre son frère, dans un commissariat près de Zouara.

«Une heure et demi après notre départ, l’embarcation a commencé à tanguer, avant de se remplir d’eau. Nous nous sommes retrouvés dans l’eau. Le bateau s’est complètement disloqué et ma mère et moi nous sommes agrippés à un des bouts de bois. J’ai pu voir, du coin de l’œil, que mon frère et ma petite sœur n’étaient pas loin.»

Shefaz continue son récit : «J’ai vu mon frère éloigner un homme d’un coup de pied parce qu’il essayait de lui arracher son gilet de sauvetage. Quant à ma petite sœur, la dernière fois que je l’ai aperçue, une personne tentait de s’accrocher à ses épaules, la poussant vers le bas, avant qu’elle ne disparaisse sous l’eau.»

«Morte dans mes bras»

«Nous avons passé neuf heures dans l’eau, ma mère et moi, accrochés à un morceau de bois. Je n’ai pas cessé de lui dire que tout allait s’arranger mais elle n’a pas tenu le coup et a coulé à peine un quart d’heure avant que les secours n’arrivent, dit-il. Elle est morte dans mes bras. J’ai demandé à un secouriste de me permettre de prendre son corps avec moi mais il a refusé. Ma mère est morte. Ma petite sœur est morte.» Plus tard, Shefaz découvrira que son père et sa grande sœur ont survécu.

Sami est un autre rescapé de Zouara. Ce Syrien de 25 ans originaire de Lattaquié, était arrivé il y quatre mois en Libye via l’Algérie, où il a travaillé pendant trois ans. «A bout de force, trois de mes amis sont morts sous mes yeux, raconte le jeune homme, au bord des larmes. Cela fait trois ans que je n’ai pas revu les membres de ma famille, depuis qu’ils se sont réfugiés aux Pays-Bas. Je suis monté dans cette barque avec l’espoir de les revoir, après que ma demande de regroupement familial a été rejetée. J’ai fui la mort dans mon pays pour la retrouver en mer.»

Ses larmes se mettent alors à couler : «Pourquoi moi je meurs en mer, quand d’autres sont tranquillement assis chez eux ?»

Des secours démunis

Faute de navires de la marine, quasi tous détruit depuis la chute du régime Kadhafi en 2011, les autorités libyennes en sont réduites à chercher des survivants avec des petits bateaux de pêche ou des bateaux pneumatiques de fortune. Des équipes du Croissant rouge recherchent des corps échoués sur la plage de Zouara, où des chaussures, des vêtements et des bouteilles en plastique rejetés par la mer étaient visibles sur le sable, a constaté un journaliste de l’AFP.

«Nous manquons de tout, résume Ibrahim al-Attoushi, l’un des secouristes, à l’agence Reuters, à Zouara, nous avons juste une ambulance.» Toutes les formes d’aide et de coopération avec l’Union européenne ont été gelées avec la Libye en 2014, depuis le boycott d’un gouvernement autoproclamé qui contrôle l’ouest du pays. Les personnes sauvées sont donc conduites dans des centres de rétention pour migrants illégaux, où ils survivent dans des conditions dramatiques, rappellent les organisations des droits de l’homme.

Déjà plus de 2500 morts en Méditerranée en 2015

Combien de candidats à l'Europe meurent à ses portes ? Combien survivent ? «C’est difficile d’avoir les chiffres exacts, même celui des morts, estime Seddik Saïd. On peut seulement fournir le nombre de personnes que nous avons retrouvées mortes.» Et d'ajouter : «Nous menons des missions similaires chaque semaine désormais. Des dizaines de personnes meurent au large de cette plage chaque semaine.» 

Un survivant a indiqué vendredi que lui et ses deux amis avaient chacun payé 1 600 dollars pour embarquer sur le bateau secouru jeudi. D’autres témoignages rappellent que les réfugiés tentant de gagner l’Europe sont souvent battus et torturés dans le but de leur extorquer de l’argent. Une centaine de résidents de Zouara ont manifesté dans le centre de la ville, demandant aux autorités de mettre fin au trafic d’êtres humains.

Selon le dernier décompte du HCR, plus de 300 000 migrants ont traversé la Méditerranée depuis janvier, et plus de 2 500 personnes sont mortes en mer après avoir tenté de rallier l’Europe.

 

Source: http://www.liberation.fr/monde/2015/08/28/pourquoi-je-meurs-en-mer-quand-d-autres-sont-tranquilles-chez-eux_1371298