Nos actualités

Le 14 août 2015

En Calabre, le village de Riace revit grâce aux réfugiés

En Calabre, le village de Riace revit grâce aux réfugiés

À l’initiative de son maire, Riace a décidé, depuis 1998, de s’ouvrir à l’accueil de nombreux réfugiés et migrants. Cette politique a permis à la petite ville de relancer sa démographie.

 

                                                                      

  
Italiens et nouveaux arrivants travaillent ensemble dans des ateliers de verrerie, de broderie ou de menuiserie. En toute quiétude.

 

Célèbre pour ses bronzes du Ve  siècle avant J.-C., Riace est aussi devenu un symbole d’humanité et d’accueil. Un exemple de solution pour freiner la désertification rurale… grâce aux migrants.

Pour atteindre ce petit village de Calabre, situé à 300 mètres au-dessus du niveau la mer, il faut emprunter une route tortueuse dans un décor naturel aussi sec que fascinant. Mais dès que l’on dépasse une pancarte indiquant « Riace, cité de l’accueil », on est frappé par les rues fleuries, d’une propreté irréprochable.

Le village s’anime tôt. Dès 7 heures, on entend le braiment de l’âne Bello, compagnon de travail de Daniel, un réfugié ghanéen chargé du ramassage des ordures. Le jeune homme a débarqué à Lampedusa en 2008 et vit à Riace depuis 2009 avec son épouse et leurs deux enfants.

300 Kurdes accueillis à Riace en 1998

L’aîné, 4 ans, a été prénommé Cosimo en l’honneur de l’un des saints patrons du village. Tout sourire, il assure que sa famille vit bien « avec moins de 1 200 € par mois. » Puis, dès que les enfants sont entrés en classe, les parents se regroupent sur la piazza Vittoria, pour papoter. Alors, arrivent les marchands ambulants de poissons, de vêtements ou de quincaillerie. Ils attirent le chaland à grands coups de haut-parleur. Ici, tout est vie !

Pour comprendre la renaissance de Riace, il faut rencontrer Domenico Lucano, 57 ans, maire du village depuis trois mandats. Poignée de main aussi franche que son regard, Mimmo, comme on l’appelle à Riace, déborde d’énergie.

 

 « Tout remonte au 1  er    juillet 1998, lorsqu’un voilier transportant 300 Kurdes s’est échoué sur la côte, à Marina Riace », se souvient-il. Déjà très engagé dans l’humanitaire, il convainc alors la population d’héberger ces migrants. « Nous avons tous au moins un membre de notre famille qui a émigré dans un pays lointain… », souligne-t-il.

Des subventions étatiques pour financer les programmes d’insertion

Un an après ce débarquement inédit, il crée une association, Città Futura, avec l’ambition de repeupler Riace. En réhabilitant les maisons abandonnées pour y loger des migrants et en revalorisant les métiers artisanaux traditionnels. « Le village était passé de 3 000 âmes au début des années 1960, à moins de 900 à la fin des années 1990, s’émeut Mimmo. Les commerces avaient mis la clé sous la porte. L’école aussi. Riace se mourait. » 

Aujourd’hui, la population est remontée à 2 100 habitants, dont 400 demandeurs d’asile ou réfugiés. Le plus ancien des réfugiés est un maçon kurde, totalement autonome. « Riace est devenu ma patrie », affirme Baran dans un italien parfait. Grâce au programme de protection des réfugiés et demandeurs d’asile, financé par le ministère de l’intérieur, Riace reçoit 35 € par jour pour chaque adulte et 45 € par mineur. « Les subventions arrivent en retard mais elles sont suffisantes pour réaliser nos projets d’insertion et ne laisser personne sans argent pour ses besoins quotidiens », relève le maire.

 

Dès l’âge de 3 ans, les enfants sont scolarisés. Les adultes, eux, suivent trois heures de cours d’italien par jour, durant six mois, au minimum. Ceux qui ont le statut de réfugié peuvent aussi bénéficier d’une formation professionnelle et d’une bourse d’environ 500 € par mois. Les aides publiques ont permis de créer 70 emplois.

« Ici la solidarité est à double sens ! »

Irene, 34 ans, gère l’atelier de verrerie et forme une jeune Érythréenne, Aatifa, qu’elle considère comme une sœur. Au coin d’une ruelle adjacente, on trouve l’atelier de broderie dans lequel travaille Tahira. Cette Afghane, qui vit à Riace avec ses deux filles depuis sept ans, ne parvient pas à s’exprimer en italien. Elle coud et brode avec Caterina, 40 ans. « J’étais sans emploi pendant des années, raconte cette dernière. Ce qu’a fait notre maire est formidable. Ici la solidarité est à double sens ! » 

Verrerie, broderie, menuiserie, céramique mais aussi tissage. C’est dans cet atelier, qu’Angela, 32 ans, réalise une nappe en chanvre, sous le regard de Kalkidan, une Éthiopienne de 26 ans. D’une voix douce, cette dernière confie qu’elle se sent « enfin sereine ». 

Au milieu de la rue principale on peut aussi rencontrer Salvatore, charmant octogénaire et habitué du bar Gervasi. Ancien agriculteur, il se présente comme un « maestro de tarentelle », la danse traditionnelle, et assure : « Voir tous ces enfants, ces familles, ça m’a rajeuni ! » 

Un modèle d’accueil mais aux possibilités d’emploi limitées

Même joie de la part d’Emilia, enseignante d’italien qui dirige une classe de 16 adultes, âgés de 19 à 28 ans : « L’expérience que je vis depuis huit ans m’enrichit humainement. Il y a 22 nationalités différentes dans le village. Toutes savent se faire aimer. Certaines m’appellent maman. Cela me touche d’autant plus que je suis la petite fille d’un homme qui s’est embarqué sur un bateau en 3  e    classe pour rejoindre l’Argentine. » 

Emilia ne nie pas toutefois les difficultés. « J’observe que les Africains ne communiquent pas tous entre eux. Par ailleurs, les niveaux d’instruction sont très divers. Certains ne savent ni lire ni écrire, alors que d’autres ont un diplôme universitaire. » 

C’est le cas de Jean, un Camerounais de 25 ans, spécialisé en économie et demandeur de protection humanitaire. Lui se concentre sur l’apprentissage de l’italien « La maîtrise de la langue est indispensable pour reprendre mes études et travailler », juge-t-il.

Recteur de la paroisse de Santa Maria Assunta, le P. Giovanni Coniglio estime que Riace représente un modèle d’accueil dans la dignité. « Nous avons célébré plusieurs baptêmes d’enfants érythréens, ghanéens ou nigérians, avec des Italiens choisis comme parrain ou marraine. L’union va au-delà de la cohabitation. Mais Riace restera un village de Calabre où les possibilités de travail sont limitées. » Reste alors à espérer voir d’autres Riace, en Italie et ailleurs en Europe.

–––––––––––––––

 La souffrance physique et morale des demandeurs d’asile 

Dans un rapport publié lundi 10 août et réalisé à partir des témoignages de quelque cinq cents demandeurs d’asile à Rome et en Sicile, l’ONG italienne Médecins pour les droits de l’homme (MEDU) montre que ces derniers souffrent de profonds traumatismes physiques et moraux.

Enfermement, privation d’eau et de nourriture, travaux forcés, torture… Les récits mentionnent au moins l’un de ces éléments. Parmi les cent personnes interrogées en Sicile, vingt ont vu un compagnon de voyage mourir dans le désert ou en prison, quinze ont vu un être tué par des policiers, des trafiquants ou des geôliers, et quinze autres ont quant à elles vu un compagnon, pris de panique, se jeter à la mer.

 « Le système d’accueil en Europe doit prendre en considération le fait que la vulnérabilité ressentie par les demandeurs d’asile tout au long de leur voyage ne s’arrête pas à leur arrivée », conclut l’association, qui appelle à limiter le nombre de places dans les structures d’accueil à 50 – 80 personnes.

       ANNE LE NIR (à Riace)