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Le 13 juin 2015

Avec les migrants, sur le « chemin de l’espoir »

Avec les migrants, sur le « chemin de l’espoir »

Chaque jour, à la gare de Menton, des dizaines de migrants, fuyant les guerres et la pauvreté...

 

Chaque jour, à la gare de Menton, des dizaines de migrants, fuyant les guerres et la pauvreté, se font illégalement refouler vers l’Italie. Beaucoup d’entre eux tentent alors leur chance à pied par des sentiers pédestres, au péril de leur vie. Reportage.

Envoyé spécial. Un véhicule banalisé vient se garer devant la sortie. Abdallah, Hamed et Abdou sont invités à y entrer et conduits au bureau de la police aux frontières, à vingt mètres de l’Italie. À peine cinq minutes passent. Un policier entrebâille la porte du poste de police et d’un geste dédaigneux indique aux trois jeunes Érythréens la direction de Vintimille. « Ils ne nous ont rien demandé, raconte Abdallah. Ils ne savaient pas parler anglais. On est resté assis sur un banc et ils nous ont fait sortir. » Aucun contrôle d’identité. Aucune formalité administrative. Ici, à Menton, mineurs ou non, demandeurs d’asile ou pas, les migrants sont expulsés en dehors de toute légalité, en violation des conventions internationales sur le non-refoulement des réfugiés et les droits de l’enfant. « Il s’agit de réadmissions en Italie », tente de justifier un officier. Mais, de l’autre côté de la frontière, aucun douanier italien n’est là pour valider ces retours.

Ils sont plusieurs dizaines, chaque jour, à connaître ce sort. À cinquante mètres de là, cachés dans les broussailles, en contrebas de la route qui surplombe le littoral azuréen, Zara, son frère et sa belle-sœur, arrivés eux aussi d’Érythrée, attendent assis au milieu d’un sentier poussiéreux parsemé de valises et de sacs abandonnés. « On avait un ticket Vintimille-Nice, sourit la jeune femme de vingt ans. Ils l’ont confisqué et nous ont dit de repartir. Ils n’ont pas cherché à savoir si on souhaitait demander l’asile. On attend la nuit, pour tenter de passer, à pied, sur ce chemin. »

Après avoir été reconduits, la plupart des migrants cherchent un autre moyen de quitter l’Italie. Certains regagnent Vintimille pour tenter une nouvelle fois leur chance en train. D’autres se rendent à Milan, espérant passer, ensuite, la frontière autrichienne. Et il y a ceux qui choisissent d’emprunter des sentiers pédestres. « C’est la deuxième fois que je me fais arrêter dans le train, raconte, agacé, Abdoul Haï, un Afghan de seize ans. Ils nous ont dit “No France”. » Le jeune mineur solitaire observe, inquiet, la Giraude. Une masse rocheuse, en forme de tour, posée en haut des reliefs qui se jettent dans la mer à la frontière franco-italienne. « Ce soir, je vais essayer par la montagne », conclut le garçon en mimant de s’accrocher aux falaises.

Ce mardi, les hélicoptères de la gendarmerie tournoient, heure après heure, au-dessus de la Giraude. Au départ de Grimaldi, dernier village italien avant la frontière, un sentier mène à la cime de la montagne et redescend sur Menton en contournant la tour rocheuse. On l’appelle le Pas de la mort. Une fois passé le treillis de fer barbelé qui délimite encore la ligne frontalière, il faut prendre à droite. Si on continue tout droit, c’est le vide. Nombreux sont les candidats à l’exil qui, quelques mètres seulement après avoir réussi à passer, y ont trouvé la mort.

« Il y a trois mois, les hélicoptères sont venus sauver un Soudanais agrippé à la paroi », raconte Enzo Barnaba, un habitant de Grimaldi très informé sur les questions liées à l’immigration. Cet historien est en train de corriger la dernière version de son ouvrage consacré au massacre de dizaine d’immigrés italiens, à Aigues-Mortes, en Camargue, en 1893. « Les antifascistes italiens, les juifs fuyant les lois raciales de Mussolini en 1938, les Yougoslaves dans les années 1990 et, en 2011, les Tunisiens pendant le printemps arabe… De tout temps, le Pas de la mort a été emprunté par les migrants », insiste-t-il.

En février dernier, la Società Operaia di Mutuo Soccorso de Grimaldi et l’association Randonneurs du pays mentonnais ont entrepris de débroussailler le sentier et d’y apposer, à l’aide de Rubalises, les repères nécessaires aux marcheurs. En avril, les deux associations y ont ensuite organisé un « pique-nique de l’amitié » et rebaptisé le chemin historique en « Sentier de l’espoir ». Aujourd’hui, elles exhortent les autorités communales, de chaque côté de la frontière, à poser, « là où le sentier croise la frontière, une plaque qui rappellera aux passants les souffrances endurées en ces lieux ».

Abdallah, Hamed et Abdou tentent leur chance par la montagne

L’histoire continue son chemin. Vers 20 h 30, Abdallah, Hamed et Abdou, refoulés de la gare de Menton, choisissent de tenter leur chance par la montagne. Il faut passer avant la nuit pour ne pas risquer de tomber aux endroits qui jouxtent les falaises. Ils marchent vite, s’arrêtent peu et gravissent la montagne au milieu des genêts, des romarins et thyms sauvages. Peu avant d’arriver à l’endroit le plus pentu, un hameau de maisons en ruine, le Case Gina, surplombe le sentier. À l’intérieur, des graffitis racontent l’exil. On y lit, ici, des noms et des dates : « 2004 Libya », « George Galati 29.08.97 Romania », « Sylvia Saki 2015 »… Là, en arabe, des descriptions d’itinéraire, ou encore en cyrillique : « Nicolas 1992 »… Au charbon, sur les murs jaunes, se dessine aussi, en lettres noires, l’inscription « Mort au passeur » ! Et en contrebas, gravé à la pierre sur l’enduit extérieur, l’inscription « Menton » et une flèche pour en indiquer la direction. « Ces maisons servaient à abriter les migrants, en attendant le bon moment pour monter », explique Enzo.

Nos trois jeunes Érythréens ne s’y arrêtent pas. Ils grimpent, le pas enlevé par l’espoir. Leurs tee-shirts sont imbibés de sueur quand, enfin, ils parviennent, à près de 1 000 mètres d’altitude, au filet de barbelés. Mais leur regard brille à la vue des lumières mentonnaises, en bas. On pourrait presque les voir s’amuser à une sorte de jeu de piste, cherchant, les unes après les autres, les balises de ruban rouges et blanches accrochées aux broussailles. La frontière passée, ils reprennent leur souffle, assis sur le tronc d’un pin couché et observent la France vue d’en haut. Menton, Monaco et, au loin, le collier de la reine, la côte niçoise…

En France, cachés dans un fossé où ruisselle un petit court d’eau qu’on nomme le Fossan, à une heure de marche de la fin du Sentier de l’espoir, les lucioles illuminent la nuit tombée. « J’ai quitté l’Érythrée il y a six ans, raconte Abdallah. J’ai vécu cinq ans dans le camp de réfugiés de Mahaini, en Éthiopie, et puis six mois au Soudan, à Khartoum. J’ai traversé la Libye en deux mois, où j’ai payé 2 000 dollars pour prendre un bateau. » Le jeune homme de vingt-huit ans est arrivé sur l’île de Lampedusa il y a à peine vingt jours. Il a d’abord cherché à se rendre en Autriche. « Mais ils voulaient prendre nos empreintes digitales, continue-t-il. J’ai refusé. Ils m’ont refoulé. J’ai rencontré Hamed et Abdou, à Rome, juste avant. Nous avons alors décidé de prendre un train depuis Milan jusqu’à Nice. On ne pouvait pas rester en Italie. La police y est très violente. Ils tapent avec leurs matraques et utilisent des bâtons électriques pour nous faire fuir. »

Les trois hommes comptent prendre un billet à destination de Paris

Un peu plus d’une heure après, nos trois hommes, conduits par une bonne âme mentonnaise, se retrouvent à la gare de Nice. Ils comptent prendre un billet à destination de Paris. La veille, au même endroit, ils étaient une soixantaine, Érythréens, Soudanais, Afghans, à avoir trouvé un moyen de passer. Ruth, rencontrée le matin à Vintimille, était montée dans un train qui n’avait pas été contrôlé. Sans perdre un instant son sourire, elle avait fait le récit de son exil… Son fils de quatre ans disparu au Soudan. « Quelqu’un, en Sicile, m’a donné des habits et un peu d’argent, précise la jeune fille. J’ai pu acheter des billets de train jusqu’ici. J’avais tout perdu à la frontière soudanaise. »

Ces actes de solidarité ne sont pas rares. À Nice, cette nuit-là, trois personnes viennent spontanément partager du pain et des sandwichs. Des associations distribuent, quant à elles, des sacs de couchage et de la nourriture. La Cimade remplit des formulaires demandant aux agents SNCF de faciliter le voyage des demandeurs d’asile à Paris. « Le regard sur les migrants est en train de changer, insiste Teresa Maffeis, militante RESF et fondatrice de l’association pour la démocratie à Nice. Bien sûr, il y a des propos racistes, les déclarations d’Estrosi et de Ciotti. Mais les actes de solidarité sont de plus en plus nombreux. »

En Italie, aussi. « Avec la coopérative et l’association Caritas, cette année, on a distribué 700 kg de nourriture à Vintimille, indique Giuseppe Fama, membre de l’Arci et fondateur de la Coop-Liguria, une coopérative autogestionnaire qui réunit producteurs et consommateurs. En tout, nous avons donné trente tonnes de nourriture dans toute la Ligurie. Aux Italiens pauvres, comme aux migrants, parce que la pauvreté n’a pas de patrie. La mobilisation est plus difficile qu’en 2011, pour les Tunisiens du printemps arabe. La forte répression policière, à l’époque, a laissé des traces. Les gens hésitent désormais à se mobiliser, mais la solidarité continue de s’organiser. »

Il est minuit, à Nice, mardi. Abdallah, Hamed et Abdou se renseignent sur les horaires de trains pour Paris et prennent les contacts des organismes qui pourront, là-bas, les accompagner dans leur demande d’asile. Enfin, ils rejoignent la trentaine de migrants qui, devant la gare, à même le sol, dorment en rêvant d’avenir.

Source: http://www.humanite.fr/avec-les-migrants-sur-le-chemin-de-lespoir-entre-litalie-et-la-france-576193