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Le 7 mai 2015

Quelles solidarités face aux crises migratoires?

Quelles solidarités face aux crises migratoires?

INTERNATIONAL - La mort tragique de centaines de migrants en Méditerranée a suscité une mobilisation européenne inhabituelle, symbolisée par le sommet extraordinaire du 23 avril. Outre l'adoption de mesures de court terme, elle a contribué à relancer le débat sur la solidarité européenne face aux crises migratoires, qu'il convient d'approfondir sur trois registres complémentaires

INTERNATIONAL - La mort tragique de centaines de migrants en Méditerranée a suscité une mobilisation européenne inhabituelle, symbolisée par le sommet extraordinaire du 23 avril. Outre l'adoption de mesures de court terme, elle a contribué à relancer le débat sur la solidarité européenne face aux crises migratoires, qu'il convient d'approfondir sur trois registres complémentaires.

1. L'asymétrie géographique impose une solidarité financière européenne face aux crises migratoires

La création de l'espace Schengen a de facto conduit à mutualiser la surveillance de nos frontières extérieures communes, dans un contexte asymétrique: si les frontières aériennes des pays de l'UE sont toutes également accessibles, les frontières terrestres et maritimes de certains d'entre eux (par exemple la Grèce et l'Italie) enregistrent des flux migratoires plus importants lorsque le chaos se propage dans les pays voisins, comme c'est actuellement le cas en Syrie et en Libye. Plusieurs mécanismes traduisant une solidarité financière européenne ont été mis en place pour compenser cette asymétrie:

- des mécanismes de péréquation budgétaire, notamment matérialisés par le "Fonds Asile Migration et Intégration" (FAMI), doté de 2,4 milliards d'euros pour la période 2014-2020; le FAMI a notamment pour objectif de renforcer et développer tous les aspects du régime d'asile européen commun, de promouvoir l'intégration effective des ressortissants de pays tiers et de financer le retour des migrants non accueillis sur le sol européen; chaque pays de l'UE reçoit une part fixe de ce Fonds, ainsi qu'une part proportionnelle à son degré d'exposition aux flux migratoires

- la solidarité financière européenne s'exprime aussi par l'intermédiaire de l'agence Frontex, qui offre une assistance technique aux Etats membres faisant face à une forte pression migratoire; cette assistance a récemment conduit au financement d'opérations conjointes de patrouille en mer au large de la Grèce (opération "Poséidon") et de l'Italie (opération "Triton"): il est logique que le coût de telles opérations soient intégralement financées par l'UE, alors que le financement de l'opération "Mare Nostrum", lancée par le gouvernement italien en 2013, n'avait été pris en charge qu'à hauteur de 20% par les autres pays de l'UE

- la solidarité financière européenne peut enfin conduire à l'envoi d'"équipes d'intervention rapide aux frontières" (par exemple en Grèce en novembre 2010), composées de gardes-frontières issus de tout ou partie des Etats membres, agissant sous l'autorité du pays hôte, mais financés par leur pays d'origine. Tout comme Frontex, ces équipes doivent préfigurer la création d'un véritable "Corps européen de garde-frontières", financé par l'ensemble des Etats membres.

2. La solidarité européenne en matière d'accueil des migrants demeure trop limitée

Si l'afflux massif de migrants sur certains segments des frontières extérieures communes demeure exceptionnel, il a souvent mis en lumière le déficit de solidarité européenne en matière d'accueil, qu'illustre de manière symbolique le traitement des demandes d'asile:

- la solidarité européenne peut s'exprimer de manière ponctuelle, dans le cadre de la directive "protection temporaire" adoptée en 2001: elle prévoit en effet que, si un pays reçoit un nombre de demandes excédant ses capacités d'accueil, ses voisins peuvent prendre en charge une partie des demandeurs concernés -une telle directive devrait être utilisée en ce printemps 2015 et donner lieu à des réinstallations temporaires de demandeurs d'asile d'un pays à l'autre

- sur le plan plus global, le nombre de demandes d'asile instruites par les Etats membres de l'UE demeure très hétérogène: l'Allemagne a ainsi instruit près d'un tiers (environ 200.000) de l'ensemble des demandes d'asile exprimées en 2014 (625.000 au total), devant la Suède, puis l'Italie; la Suède est le pays à avoir enregistré le plus de demandes au regard de son nombre d'habitants, soit 8,4 demandes pour 1000 habitants, contre 2,5 pour l'Allemagne, 1,1 pour l'Italie, 1 pour la France et 1,2 en moyenne pour l'ensemble de l'UE

- cette hétérogénéité est également frappante en termes de taux d'acceptation des demandes d'asile et de nombre de réfugiés accueillis: si les taux d'acceptation des demandes en première instance se sont établis en moyenne à 45% en 2014, ils ont par exemple oscillé entre 76% en Suède, 58% en Italie, 41% en Allemagne, 21% en France et 9% en Hongrie

La déclaration du sommet extraordinaire du 24 avril a malheureusement confirmé un tel déficit de solidarité européenne, alors même que les pays de l'UE qui estiment faire le plus d'efforts en matière d'accueil peuvent se sentir délaissés par les autres. Bien qu'inhabituellement élevé au regard des années précédentes, le flux actuel de demandeurs d'asile reste extrêmement limité au regard de celui constaté dans des pays comme le Liban ou la Turquie; il est en ligne avec les capacités d'accueil et la tradition humaniste d'un continent de plus de 500 millions d'habitants, pour autant que des mécanismes de solidarité soient mis en place afin de traiter les demandes d'asile indépendamment du point d'arrivée des migrants.

3. Solidarité et coopération européennes doivent être renforcées de manière conjointe

Le déficit de solidarité européenne en matière de répartition des demandeurs d'asile et de traitement de l'immigration clandestine est à la fois la cause et la conséquence d'une défiance mutuelle entre Etats, qui est dommageable pour l'ensemble de l'UE.

Ce déficit de solidarité peut générer des défaillances dans les contrôles opérés aux frontières extérieures communes: soit parce que les Etats concernés n'ont pas les moyens de faire face à des flux migratoires massifs; soit parce qu'ils n'ont pas la volonté de garder sur leur sol des migrants souvent désireux d'atteindre d'autre pays, alors que le "Règlement de Dublin" prévoit justement que ces migrants présumés illégaux doivent demeurer dans le pays via lequel ils ont accédé à l'UE; il serait bienvenu de revoir ce Règlement en adoptant le principe d'une répartition plus équilibrée du traitement des demandes d'asile.

Le déficit de solidarité européenne est aussi la conséquence de l'absence de fiabilité, réelle ou supposée, des contrôles aux frontières opérés par certains pays membres de l'UE: pourquoi et jusqu'où être solidaire face un flux présumé incontrôlé? C'est parce que l'assistance de "Frontex" et des autres Etats membres pourra monter en puissance dans ces pays, d'un point de vue financier comme d'un point de vue opérationnel, qu'un degré suffisant de confiance mutuel pourra être établi, et que davantage de solidarité en matière d'accueil pourra être envisagée.

Les gouvernements des pays de l'UE ont intérêt à être davantage solidaires face aux crises migratoires, pas seulement par générosité mais pour des raisons d'efficacité. Il convient en tout état de cause qu'ils assument leurs responsabilités: d'une part en attribuant les moyens humains et financiers nécessaires à la gestion commune des frontières extérieures, dans ses dimensions policières et humanitaires; d'autre part en ne faisant pas systématiquement appel à la solidarité des pays voisins lorsqu'ils sont confrontés à des flux migratoires d'ampleur limitée au regard de leur population totale.

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Au-delà de la seule gestion des "crises migratoires", c'est l'ensemble de leurs stratégies en matière d'immigration que l'UE et ses Etats membres sont appelés à revoir. L'UE n'est pas Lampedusa, petite île pauvre mais généreuse: elle est un vaste espace riche mais en déclin démographique, pour lequel l'immigration ne saurait être perçue seulement comme une menace, mais aussi comme une contribution au maintien et au développement de son modèle économique et social. C'est parce que de telles réalités seront davantage portées dans le débat public que la solidarité européenne pourra davantage se déployer au cours des prochains semestres.

Source: http://www.huffingtonpost.fr/yves-bertoncini/solidarite-aide-europeenne-migrants_b_7160888.html